Le travail migrant temporaire et les effets sociaux pervers de son encadrement institutionnel

Sid Ahmed Soussi, chercheur au GIREPS, vient tout juste de faire paraître un article qui dévoile les derniers résultats de ses travaux concernant sur le recours au travail migrant. Voici un extrait, tiré de l’introduction, qui résume le contenu de l’article: « Le recours au travail migrant temporaire a nettement augmenté ces dernières années. Il s’inscrit dans une tendance lourde de l’économie canadienne, en tant que processus systématisé de transformation des relations du travail dans plusieurs filières économiques et de reconfiguration socioéconomique de l’emploi. Ce processus s’observe à l’échelle des deux composantes constitutives du marché de l’emploi : les chaînes de valeur et les secteurs où elles déploient leurs activités. Sa logique productrice de plus-value économique ne peut être saisie sans le rôle central qu’y tient l’action publique. Cette dernière s’exerce par le biais de politiques migratoires conjuguées à des politiques économiques tournées vers le soutien aux entreprises, et vise l’objectif d’une réorientation stratégique de la gestion des flux migratoires pour les premières et d’une flexibilisation optimisée des normes juridico-administratives du travail pour les secondes. C’est ainsi, par exemple, que l’État a progressivement privatisé, ces dernières années, quelques-unes de ses principales prérogatives régaliennes en matière de régulation des flux migratoires temporaires — au profit des agences de recrutement et de placement —, et notamment ses fonctions concernant le traitement administratif des séjours et des parcours professionnels des TMT. Dans ce contexte, cette réorientation remet-elle en question le modèle migratoire canadien qui a historiquement privilégié la migration permanente, et ce, même dans le cadre de ses préoccupations économiques? L’analyse présentée ici combine des résultats de recherche provenant de deux sources. La première, et la plus importante, est une enquête menée au Québec dans les secteurs de l’hôtellerie-restauration et de l’industrie agroalimentaire. Certains résultats font l’objet d’un croisement avec les conclusions dégagées par d’autres recherches réalisées en Alberta et en Colombie-Britannique (Polanco, 2014; Polanco Sorto, 2013), des provinces où se déploient également les dispositifs du Programme de travailleurs étrangers temporaires (PTET), qui est le volet fédéral de l’action publique en matière de gestion des flux migratoires du travail au Canada et qui est accompagné au Québec d’une législation provinciale dont la vocation est d’en optimiser les retombées sur l’économie locale. La question de recherche au cœur de l’enquête menée au Québec porte sur les impacts économiques et sociaux de l’expansion du travail migrant temporaire sur : 1) la relation d’emploi, l’organisation du travail et les relations du travail; 2) les conditions d’accès à la syndicalisation — droits d’association et de négociation —, les statuts sociojuridiques et les différentes formes de discrimination. » Soussi, Sid Ahmed. 2019. « Le travail migrant temporaire et les effets sociaux pervers de son encadrement institutionnel », Lien social et politiques, 83: 295-316.

Articles scientifiques

Sid Ahmed Soussi

S’organiser à la marge : Le cas de l’Association des travailleurs et travailleuses d’agences de placements (ATTAP)

*** Version abrégée du cahier de recherche *** Les catégories les plus affectées statistiquement par la pauvreté et la précarité en emploi – les femmes, les minorités racialisées, les immigrant∙e∙s et les jeunes (Picot et al. 2005, 2007; Ulysse 2006, 2013; Yerochevski 2014) – montrent que le régime néolibéral renforce les rapports sociaux de domination basés sur le genre, la race, le statut administratif ou l’âge. Dans ce contexte, les immigrant∙e∙s se retrouvent dans différents régimes administratifs qui conditionnent de manière différenciée leur accès à des emplois de qualité, au droit du travail, aux droits sociaux ou aux droits humains, selon qu’elles et ils soient immigrant∙e∙s permanent∙e∙s, en attente de la citoyenneté canadienne, demandeurs et demandeuses d’asile, réfugié∙e∙s, migrant∙e∙s temporaires, visiteur∙e∙s, étudiant∙e∙s ou sanspapiers. Cette situation fait notamment écho à la transformation des politiques canadiennes d’immigration qui furent de plus en plus articulées au recrutement de maind’oeuvre depuis les années 1970 et plus encore à la fin des années 2000 autour des besoins à court terme du marché du travail (Piché 2009, Alboim et Cohl 2012). La limitation de l’accès à l’installation permanente et à la citoyenneté engendre par ailleurs une diversité d’expériences migratoires générant des espaces de non-droit et incitant les personnes à rejoindre le marché informel du travail et/ou à rester sur le territoire sans y être légalement autorisées. La syndicalisation et, plus largement, l’organisation collective peuvent être un rempart contre la précarisation. Or, la segmentation des marchés du travail, la centrifugation de l’emploi vers les marchés périphériques du travail et la fragmentation des collectifs de travailleurs∙euses contribuent à l’usure du modèle syndical traditionnel construit autour de l’idée d’une classe ouvrière homogène, modèle qui n’est plus en phase avec la nouvelle organisation du travail. Comment faire converger les aspirations et les besoins pluriels d’une classe travaillante éclatée et segmentée dans ce nouveau contexte? Quels sont les défis posés par la dynamique de flexibilisation du travail et la prolifération du travail atypique sur la théorie et les pratiques d’organisation collective de la classe ouvrière? Comment identifier les nouveaux acteurs collectifs qui surgissent de ces processus de manière à réfléchir sur leurs éventuelles capacités de mobilisation? En appréhendant l’action syndicale à partir de la marge, c’est à ces questions de plus en plus posées par les sociologues du travail (Moulier Boutang 1998 ; Yates 2004 ; Standing 2011, etc.) que cherche à répondre le projet de recherche mené dans le cadre des activités du Groupe de recherche interuniversitaire et interdisciplinaire de recherche sur l’emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS) et au sein duquel s’inscrit cette étude de cas portant sur l’Association des travailleurs et travailleuses d’agences de placement (ATTAP) mis en place par les membres du Centre des travailleuses et travailleurs immigrants (CTI-IWC) Malhaire, Loïc et Yanick Noiseux. « S’organiser à la marge : Le cas de l’Association des travailleurs et travailleuses d’agences de placements (ATTAP) » Cahiers du GIREPS, No. 10, Québec, 2019,  49 p., [en ligne] <https://www.gireps.org/wp-content/uploads/2019/08/Cahier_GIREPS_no_10_Malhaire_Noiseux_2019.pdf>

Cahiers du GIREPS

Loïc Malhaire et Yanick Noiseux

Quarante ans de politiques d’emploi néo-libérales au Québec

Marie-Pierre Boucher et Yanick Noiseux viennent tout récemment de rédiger le chapitre « Quarante ans de politiques d’emploi néo-libérales au Québec » au sein de l’ouvrage Crise(s) et mondes du travail (2019) sous la direction de Anne-Marie Arborio, Paul Bouffartigue et Annie Lamanthe. Résumé de l’ouvrage Les mondes du travail ont été touchés de plein fouet par la crise financière et économique initiée en 2008, comme par les réponses néolibérales, souvent radicales, qui lui ont été données : accélération de la désindustrialisation, montée du chômage, restructurations d’entreprises, déconstruction du droit du travail visant à flexibiliser les marchés du travail, montée des formes d’emploi dégradées, affaiblissement de la protection sociale, intensification du travail, baisses de salaires, extension de la pauvreté laborieuse et des politiques de workfare. En Europe, les pays du sud (Grèce, Espagne, …), en ont subi les formes les plus violentes. La crise économique participe de bien d’autres crises. Ce livre, nourri par les XVe Journées internationales de sociologie du travail tenues à Athènes, s’interroge sur la pertinence de la notion de crise(s) et explore les liens entre crise(s) et mondes du travail : quelles sont leurs implications sur le salariat, sur le vécu des travailleurs et des demandeurs d’emploi, et sur les politiques publiques ? En quoi interpellent-elles les objets et les paradigmes de la sociologie et de la sociologie du travail ? Les responsabilités sociales de la discipline n’en sont-elles pas accentuées ?

Chapitre de Livre

Marie-Pierre Boucher et Yanick Noiseux

Migrant worker strategies in access to health: recognizing agency in a context of constraints

This chapter lays out a research agenda that looks beyond barriers to health for temporary migrant workers to explore the many forms of agency workers exercise in trying to overcome these barriers. The chapter provides a critical exploration of the various barriers that migrant workers have had in relation to access to health care in Canada (namely: cultural, policy and workplace barriers), within the context of constraints on their control of their health situation. The chapter begins with a critical overview of the evolution of the literature on migrant worker access to health over the last 20 years, and continues with the results of two recent studies. The chapter concludes with suggestions of how to improve existing policy and practice in the field. Given that little attention has been given specifically to the element of securing access to health care, specifically within the context of precarious immigration status, further research should be done within several domains, among them: how to expand knowledge of health rights among workers; understanding employers’ problematic roles as mediators in access to health care; making the links housing conditions and health; and securing a worker’s access to health care within the workplace.

Chapitre de Livre

Jill Hanley, Sol Park, Sylvie Gravel, Jah-Hon Koo, Loic Malhaire and Sigalit Gal

Les syndicats et l’immigration au Québec. L’intégration et l’accès aux structures comme innovations syndicales

Résumé de l’ouvrage Dans un contexte de multiplication des expériences innovatrices, le présent ouvrage veut faire reconnaître les pratiques émergentes comme étant valables et justes, et montrer leur capacité à transformer le monde. Ainsi, les auteurs prônent le passage d’une vision minimaliste de l’innovation sociale, selon laquelle les acteurs sociaux et communautaires agissent de manière à pallier l’« austéritarisme » gouvernemental et les insuffisances provoquées par le marché, à une approche plus large, orientée vers une véritable transformation sociale, économique et territoriale. Cette approche rappelle que les objectifs du développement économique doivent être soumis aux impératifs sociétaux et environnementaux. Ainsi, lutter pour faire reconnaître le pouvoir de la société civile de réinventer le monde, c’est réagir au déni de l’alternative, si présent dans le discours des décideurs. C’est aussi donner à voir des initiatives peu valorisées par ces discours, parce qu’elles ne s’inscrivent pas dans leur logique économique, laquelle est essentiellement productiviste et destructrice. Penser la transition, c’est réimaginer des institutions et des pratiques capables d’accroître la capacité des collectivités à favoriser le bien commun. C’est affirmer qu’une société créative et innovatrice devrait adhérer à une vision large de l’innovation, orientée vers le développement économique, mais aussi vers la création d’un écosystème d’innovation où les progrès technologiques et sociaux se croisent et se complètent, écosystème qui devrait repenser les rapports inégalitaires entre les genres, les populations et les territoires. Soussi, Sid Ahmed. « Les syndicats et l’immigration au Québec. L’intégration et l’accès aux structures comme innovations syndicales », dans Klein, J.-L., Boucher, J.l., Camus, A., Champagne, C., Noiseux, Y. (dir.), Trajectoires d’Innovation. Des émergences à la reconnaissance, Presses de l’Université du Québec, 2019, p. 231-240.

Chapitre de Livre

Sid Ahmed Soussi

Shake that moneymaker: insights from Montreal’s Uber drivers

Le mirage Uber : excursion ethnographique auprès de conducteurs et conductrices montréalais-es Cet article présente les résultats d’une ethnographie des conducteurs d’Uber à Montréal. Il s’appuie sur le cadre conceptuel de la « centrifugation de l’emploi vers les marchés périphériques » de Jean-Pierre Durand (2004). Il propose une critique du modèle d’organisation du travail qui promet « de bons revenus » et prétend créer un environnement de travail « flexible » et « sans patrons ». L’article met en lumière les caractéristiques essentielles – précarité, le contrôle du marché et la subordination à l’application – qui structurent les routines de travail quotidiennes des conducteurs et révèlent un double processus « d’accumulation par dépossession » (Harvey,2004. D’une part, leur déprolétarisation les dépossède de toutes sortes de protection ou de tout pouvoir de négociation. D’autre part, comme les conducteurs sont obligés de donner à l’entreprise un accès inconditionnel pour exploiter efficacement leurs propres actifs (voitures/téléphones/connexion Internet), ceux-ci sont dépossédés de la valeur de leur « travail mort » incarné dans leurs propriétés privées désormais monétisées (Kenney et Zysman, 2016), exploitées et consommées dans le cadre du processus de production de la valeur par Uber. Jamil, Rabih et Yanick Noiseux, « Shake that moneymaker: insights from Montreal’s Uber drivers », Revue Interventions économiques, no. 60, 2018.

Articles scientifiques

Rabih Jamil, Yanick Noiseux

Comment saisir la portée des mobilisations des travailleurs informels et précaires ? Une approche féministe matérialiste appliquée à l’économie solidaire brésilienne

Afin de saisir la portée des mobilisations de travailleuses et travailleurs informels qui s’amplifient depuis une trentaine d’années, cet article défend de rompre avec les cadres d’analyse traditionnels pour adopter une approche féministe matérialiste. Celle-ci est appliquée au cas de l’économie solidaire brésilienne. Elle permet de mettre en évidence les transformations du rapport au travail et leur portée émancipatrice: en reliant choix de production et satisfaction des besoins sociaux, les mobilisations dans l’économie solidaire redessinent les termes d’un compromis social applicable à toutes et tous les travailleurs. Yerochewski, Carole, « Comment saisir la portée des mobilisations des travailleurs informels et précaires ? Une approche féministe matérialiste appliquée à l’économie solidaire brésilienne », Relations Industrielles / Industrial Relations, vol. 73, no. 3, été 2018, p. 517-540

Articles scientifiques

Carole Yerochewski